Nous connaissons tous-tes quelqu’un qui, dans notre jeunesse, s’ennuyait considérablement en classe. Une personne qui, pourtant, se ruait dehors à la sonnerie pour passer 5 heures d’affilée à réaliser la même tâche répétitive afin de finalement maîtriser ses passements de jambe au football, parfaire ses stratégies aux échecs ou encore réussir ses « hadoukens » sur Street Fighter II.
La question qui se pose alors est : qu’est-ce qui amène des personnes peu engagées dans leur travail à mettre autant d’énergie et de volonté sur des jeux ? Et par extension : comment transférer cette énergie au travail ?
Pour adresser cette question, je vous propose de développer le concept de Gamification.
Mais, qu’est-ce que la Gamification ?
La Gamification fait référence à l’application de principes venant du jeu à d’autres domaines tels que le marketing, l’éducation ou encore le travail (Deterding et al., 2011). L’idée est de rendre ces activités plus motivantes, engageantes et fun. Bien entendu, sans perdre de vue ses objectifs principaux.
Dans cet article, il sera question spécifiquement d’utiliser ces principes pour améliorer la performance au travail.
D’accord. Et ça marche vraiment ?
Eh bien, tout dépend de la manière dont sont faites les choses.
Pour commencer, les joueurs-ses sont facilement attirés-es par des motivateurs extrinsèques, soit adjacents à la tâche en soi. Ce sont, par exemple, des points, des badges ou des récompenses diverses pour avoir accompli la tâche (Caton & Greenhill, 2014). L’idée ici est de réaliser un effet de catalyseur afin de rapidement créer de l’intérêt pour une tâche donnée. Autrement dit : créer de l’engagement (Darejeh & Salim, 2016). C’est ce dernier mot qui est central. Par engagement, il est question d’un sentiment positif de vigueur, de dédication et d’absorption au travail (Schaufeli et al., 2002). Un sentiment qui est associé à divers effets positifs sur le travail, dont l’augmentation de la performance (Liu et al., 2018). En somme, la gamification crée initialement de l’engagement, qui à son tour augmente la performance.
Schéma résumant le lien entre la Gamification et la performance
Comment ça fonctionne ?
Pour réaliser un système gamifié efficace, il n’est pas juste question d’apposer des points et des badges et de crier victoire. Beaucoup plus d’aspects doivent être considérés tels que la question du feedback. Une question majeure.
Pensez à n’importe quel match de football. À tout moment, vous savez exactement qui gagne, combien de temps il reste et quels risques votre équipe favorite a d’encaisser ou de marquer un but. Ces informations sont aussi claires pour les joueurs-ses. Celles-ci indiquent précisément aux joueurs-ses le niveau d’avance/retard qu’ils/elles ont face à l’équipe adverse et les aident à établir des stratégies pour augmenter/restreindre cet écart.
Et donc, comment appliquer ce principe au monde du travail ? Si la culture de votre entreprise se prête bien à la compétition, peut-être pourriez-vous vous inspirer de la série Koh-Lanta. Regroupez vos collaborateur-rices au sein de deux équipes (disons donc jaune et rouge). Ensuite, il est important de définir des règles précises. En l’occurrence, avec quelle métrique se décide la victoire ; est-ce que certaines actions sont interdites ou encore à quel moment est décidée l’équipe victorieuse ? Pour les habitués, vous aurez compris l’importance de poser des objectifs SMART (Spécifiques, Mesurables, Ambitieux, Réalistes et Temporellement définis) (traduit depuis MacLeod, 2012). Pour donner l’exemple de vendeurs d’assurance, un objectif simple est de réaliser plus de ventes que l’équipe adverse à la fin de la semaine. Des règles additionnelles pourraient alors être intégrées pour atteindre le niveau de difficulté idéal comme interdire l’utilisation de certains mots par exemple.
Source : https://ghcc.org/5-steps-to-set-smart-objectives-examples/
Il faut s’assurer que les informations essentielles (qui gagne, de combien, combien de temps restant) soient disponibles en tout temps. Cela peut se faire à l’aide d’un tableau présent dans l’open-space et mis-à-jour régulièrement ou même digitalement.
Souvenez-vous que ce sont des feedbacks clairs et réguliers qui amèneront les collaborateurs-rices à se dépasser et à tester de nouvelles stratégies (Pritchard et al., 2008). Autrement dit, c’est avec de telles informations que la performance est la plus directement influencée. Ne les négligez donc pas.
Finalement, une fois une équipe sortie victorieuse, il est temps de lui attribuer une récompense adéquate. Il n’y a pas forcément de règle passe-partout pour cela. Réfléchissez aux personnalités et aux intérêts de vos collaborateurs et trouvez quelque chose de significatif à leurs yeux.
A ce titre, remarquez qu’une récompense matérielle n’est pas forcément la plus motivante. En effet, pour certaines personnes la reconnaissance sociale ou le sentiment d’avoir eu un impact visible peuvent s’avérer être des leviers beaucoup plus puissants (McClelland, 1987). En ce sens, une idée simple est de décorer les bureaux aux couleurs de l’équipe victorieuse afin de les valoriser visuellement. Ayant déjà testé et approuvé ces principes au sein de notre organisation, laissez-moi vous dire que le repas de fin de compétition est aussi une solution délicieuse. Surtout lorsque c’est l’équipe rouge qui a dû le préparer.
Intéressant. Une conclusion ?
En somme, la gamification ne part pas de nulle part. Elle utilise des techniques déjà connues du management ou encore de la psychologie. L’important est de bien connaître son public pour proposer une expérience engageante, fun et valorisante en continu. Et c’est justement cette expérience positive qui pourra maximiser la performance sans nuire aux employés-es.
Si vous ne deviez lire que deux livres
- Pour tout ce qui concerne la gestion de la performance et du feedback :
- Pritchard, R. D., Weaver, S. J., & Ashwood, E. L. (2012). Series in applied psychology. Evidence-based productivity improvement: A practical guide to the Productivity Measurement and Enhancement System (ProMES). Routledge/Taylor & Francis Group.
- Pour tout ce qui concerne la Gamification en milieu organisationnel :
- Kumar, J. (2013). Gamification at Work : Designing Engaging Business Software. 528‑537. https://doi.org/10.1007/978-3-642-39241-2_58
Références
Caton, H., & Greenhill, D. (2014). Rewards and Penalties : A Gamification Approach for Increasing Attendance and Engagement in an Undergraduate Computing Module. International Journal of Game-Based Learning (IJGBL), 4(3), 1‑12. https://doi.org/10.4018/ijgbl.2014070101
Darejeh, A., & Salim, S. S. (2016). Gamification Solutions to Enhance Software User Engagement—A Systematic Review. International Journal of Human–Computer Interaction, 32(8), 613‑642. https://doi.org/10.1080/10447318.2016.1183330
Deterding, S., Khaled, R., Nacke, L. E., & Dixon, D. (2011). Gamification : Toward a definition. CHI 2011 gamification workshop proceedings, 12.
Liu, M., Huang, Y., & Zhang, D. (2018). Gamification’s impact on manufacturing : Enhancing job motivation, satisfaction and operational performance with smartphone-based gamified job design. Human Factors and Ergonomics in Manufacturing & Service Industries, 28(1), 38‑51. https://doi.org/10.1002/hfm.20723
MacLeod, L. (2012). Making SMART Goals Smarter. Physician Executive, 38(2), 68‑70, 72.
McClelland, D. C. (1987). Human Motivation. CUP Archive.
Pritchard, R. D., Harrell, M. M., DiazGranados, D., & Guzman, M. J. (2008). The productivity measurement and enhancement system : A meta-analysis. Journal of Applied Psychology, 93(3), 540‑567. https://doi.org/10.1037/0021-9010.93.3.540
Schaufeli, W. B., Salanova, M., González-romá, V., & Bakker, A. B. (2002). The Measurement of Engagement and Burnout : A Two Sample Confirmatory Factor Analytic Approach. Journal of Happiness Studies, 3(1), 71‑92. https://doi.org/10.1023/A:1015630930326