Dans un monde où les sollicitations numériques sont omniprésentes et où les frontières entre vie professionnelle et personnelle deviennent de plus en plus poreuses, la capacité à se concentrer devient une ressource aussi précieuse qu’essentielle. Pourtant, maintenir cette concentration est de plus en plus difficile, tant au niveau personnel qu’au sein des organisations.
- Pourquoi perdons-nous notre focus ?
- Comment favoriser une culture du travail qui valorise la concentration ?
- Et surtout, comment le retrouver à titre individuel dans des environnements de travail toujours plus exigeants ?
Voici les questions auxquelles nous allons tenter de répondre dans cet article. Bonne lecture !
POURQUOI PERDONS-NOUS NOTRE FOCUS ?
Entre les nouvelles habitudes liées au télétravail, la pression organisationnelle du piège de l’accélération et la fragmentation de l’attention provoquée par le numérique, notre concentration est mise à rude épreuve. Ces facteurs, bien que différents, agissent de concert pour fragiliser notre capacité – ou plutôt notre incapacité – à rester « focus ».
Le télétravail et les modes de travail flexibles
Le télétravail, adopté massivement avec la pandémie, a profondément changé nos manières de travailler. Il offre de nombreux avantages en termes d’équilibre entre vie privée et professionnelle, mais soulève aussi des défis importants, avec des univers pro / privé entrelacés, générant un environnement où la concentration est mise à rude épreuve.
Vous commencez la matinée par une réunion Teams, puis lancez une machine à laver, récupérez un colis entre deux courriels, profitez de la pause pour enfiler les baskets… La journée en télétravail peut vitre ressembler à un marathon d’activités variées. Ce va-et-vient constant, entre pro et privé, fragmente l’attention, rendant difficile le maintien d’un rythme de travail efficace.
Cette pléthore d’activités « du coq à l’âne » se retrouve d’ailleurs dans le piège de l’accélération, un concept décrit par Heike Bruch et Jochen I. Menges dans The Acceleration Trap (Harvard Business Review). Les organisations tombent dans un cycle d’hyperactivité nuisible, marqué par :
- Une surcharge d’activités (overloading) : les employés sont submergés par un volume de tâches qui dépasse leurs capacités, souvent sans ressources suffisantes pour les réaliser.
- Un multitâche excessif (multiloading) : les collaborateurs doivent gérer simultanément une grande variété de projets et d’activités, avec pour résultat, une dispersion des efforts et une perte de focus.
- Une charge permanente (perpetual loading) : certaines entreprises enchaînent les réorganisations et initiatives sans accorder de pause à leurs équipes, les épuisant et fragilisant leur engagement.
Les conséquences du piège de l’accélération peuvent être gravissimes pour l’organisation : démotivation, baisse de productivité, turnover accru et performances en chute libre.
L’économie de l’attention
Dans La Civilisation du poisson rouge, Bruno Patino explique comment les géants du numérique ont bâti leur empire sur la captation de notre attention. Notifications, récompenses aléatoires et stimuli constants s’évertuent à attirer notre esprit en permanence. Les géants du numérique savent en effet y faire en exploitant notamment le circuit de la récompense pour nous garder captif de leurs plateformes : chaque notification déclenche une libération de dopamine, créant une boucle addictive, faisant que nous avons de plus en plus de mal à « débrancher ».
Pour s’en rendre compte, posez-vous la question du temps que vous passez chaque jour sur votre natel. Un simple coup d’œil dans les paramètres de votre smartphone vous donnera la réponse… Et elle risque de vous donner le vertige ! Rassurez-vous : la moyenne mondiale s’élève à 4 heures et 37 minutes par jour. Une statistique qui souligne à quel point nos vies sont absorbées par le numérique et le temps que nous y engloutissons.
Cette sursollicitation numérique, au travail comme à la maison, morcelle nos journées. En effet, chaque interruption – même courte – nécessite plusieurs minutes pour retrouver un niveau d’attention optimal. Cela entraîne fatigue mentale, frustration et perte de créativité.
COMMENT BÂTIR UNE CULTURE ORGANISATIONNELLE QUI VALORISE LA CONCENTRATION ?
Les organisations peuvent jouer un rôle clé dans la préservation de l’attention de leurs collaboratrices et collaborateurs, en identifiant d’abord si elles se trouvent dans un piège de l’accélération et en instaurant des pratiques adaptées. Elles peuvent également mettre en place ou encourager des comportements favorisant la concentration dans le quotidien du travail. Voici quelques propositions.
Réduire les interruptions numériques
Chez Move UP, nous invitons nos consultants à commencer leur journée par des appels clients avant d’ouvrir leurs e-mails. L’expérience nous a montré que cette approche visant à prioriser les interactions clés dès le début de la journée, était particulièrement efficace pour le maintien de la motivation et de l’énergie au cours de la journée. Elle met dans une dynamique « do it », active, et non passive comme la lecture des mails peut inciter. De plus, les e-mails ne sont consultés qu’à des moments définis de la journée, ce qui limite les distractions et améliore l’efficience.
Filtrer les sollicitations
Chez Move UP, nous avons également conservé un standard téléphonique qui agit comme un sas pour les appels entrants. Cela peut sembler à contre-courant et parfois même étonner quand la tendance serait plutôt à partager son numéro direct, mais nous avons constaté que cela permettait aux consultants de mieux gérer leurs priorités sans être interrompus tout en garantissant un suivi efficace des demandes des clients. Cela diminue aussi la frustration que les appelants peuvent avoir, ne pouvant rarement atteindre les consultants souvent pris en réunions et déplacements.
Instaurer des moments de pause
Dans The Acceleration Trap, les auteurs recommandent d’introduire des temps morts réguliers pour permettre aux équipes de se recentrer. Ces périodes de déconnexion consciente – sans notifications ni réunions – favorisent la créativité et réduisent la surcharge mentale.
Former les collaborateurs à gérer leur attention
Les entreprises peuvent aussi proposer des ateliers ou formations sur des méthodes comme le Pomodoro (le fractionnement du travail en sessions courtes), le Deep Work (séance de travail profond sans interruption) ou la gestion efficace des e-mails… Autant d’initiatives pour enrichir la boite à outils des collaboratrices et collaborateurs de manière à les aider à améliorer leur capacité de concentration. Une chose essentielle à ne pas oublier : la formule magique n’existe pas, car c’est au niveau individuel que tout se joue en définitive.
COMMENT REPRENDRE LE CONTRÔLE DE SON ATTENTION ?
Retrouver et maintenir son focus est en effet avant tout un défi personnel. Cela implique de mieux se connaître, d’adopter des outils adaptés et de développer un état d’esprit centré sur l’essentiel. Pour vous aider, voici quelques pistes concrètes et pratiques à explorer.
Faire le point sur soi-même
Avant tout, il est essentiel de comprendre ses propres freins à la concentration. Procrastination, perfectionnisme ou dispersion excessive ? Ces obstacles, souvent comportementaux, ne disparaîtront pas avec l’utilisation de la dernière application à la mode ou d’un logiciel de gestion de tâches « incontournable ». L’introspection et la simplicité sont souvent les meilleurs alliés pour commencer : une feuille, un crayon et une volonté claire de s’améliorer.
Apprendre à faire moins, mais mieux : Less is more
La philosophie du Less is more, popularisée par l’architecte Ludwig Mies van der Rohe, propose de valoriser la simplicité et de se recentrer sur l’essentiel. Cela signifie de hiérarchiser ses priorités pour éviter de se disperser, de simplifier son environnement, qu’il s’agisse du bureau ou des outils numériques utilisés. Par exemple, une to-do list courte mais réaliste sur une feuille de papier peut être bien plus efficace qu’une liste interminable, sur différents supports numériques potentiellement superflus, entre Notion, Airtable, Asana et compagnie. Less is more implique de faire le tri dans ses tâches et ses engagements pour ne garder que ceux qui ont un réel impact dans notre quotidien. C’est une approche qui n’invite pas au moindre effort et à en faire moins juste pour se ménager mais au contraire qui pousse à investir plus de temps et d’énergie dans ce qui compte réellement pour nous.
Accepter l’imperfection : le wabi-sabi
Le wabi-sabi est une philosophie japonaise qui invite à voir la beauté dans l’imperfection et l’impermanence. Appliqué au quotidien professionnel, cela signifie d’accepter qu’une tâche « assez bien » est parfois mieux qu’une tâche « parfaite », surtout si cela nous empêche d’avancer. Elle passe également par la valorisation des erreurs comme des étapes d’apprentissage plutôt que des échecs.
Prendre conscience que tout, y compris nos efforts, est en constante évolution. Un projet peut être utile et impactant, même s’il n’est pas parfait. Le wabi-sabi nous aide à déculpabiliser et à nous concentrer sur ce qui a vraiment de la valeur.
Prioriser avec la matrice d’Eisenhower
La matrice d’Eisenhower est un outil puissant pour gérer son temps et son énergie. Créée par le 34e président des États-Unis, Dwight D. Eisenhower, cette matrice aide à trier les tâches selon deux critères : l’urgence et l’importance. On classe ainsi les tâches de quatre manière : importantes et urgentes, importantes mais non urgentes, non importantes mais urgentes, non importantes et non urgentes. Les tâches importantes et urgentes sont à traiter immédiatement. Exemple : une crise à résoudre ou une échéance critique. Les tâches importantes mais non urgentes sont à planifier. Exemple : la préparation d’un projet à long terme ou le développement d’une nouvelle compétence. Les tâches non importantes mais urgentes sont à déléguer. Exemple : certaines demandes administratives ou des e-mails non stratégiques. Enfin, les tâches non importantes et non urgentes sont à éliminer. La matrice d’Eisenhower est un outil d’organisation particulièrement impactant visuellement et qui permet de recentrer ses efforts sur ce qui a le plus de valeur, tout en éliminant les activités chronophages ou sans impact réel.
Établir des rituels de travail
Les rituels de travail structurent la journée et réduisent l’énergie mentale gaspillée à décider quoi faire ensuite. On peut par exemple définir des plages horaires spécifiques pour des tâches clés (comme traiter les e-mails ou les réunions). Raphaël Laub, Managing Partner de Move UP, nous confie son rituel du matin : « je commence ma journée en identifiant trois à cinq priorités impératives à accomplir au cours de la journée et/ou avant midi. Ces quelques minutes de vision matinale sont particulièrement efficaces et changent la donne sur la suite de la journée ». Une autre habitude à mettre en place : bloquer une demi-journée avant de partir en congé ou de reprendre le travail, pour faire le point sur les dossiers, savoir quoi déléguer ou se remettre dans le bain, sans se sentir submergé dans ces périodes de stress accrues que constituent le départ et le retour de vacances.
Poser ses limites et simplifier son quotidien
Apprendre à dire non est aussi une compétence clé pour protéger son attention. Cela peut inclure de refuser des délais irréalistes ou non pertinents (la fameuse deadline du vendredi soir alors que le dossier ne sera traité que le lundi matin au plus tôt). Il faut savoir parfois questionner les choix et remettre en question, bousculer le statu quo de manière objective et critique. Une autre approche pour reprendre la main sur son attention est de simplifier son quotidien en limitant les choix. Saviez-vous qu’en moyenne, nous prenions 35 000 décisions par jour ? La plupart se prennent de manière quasi automatique, mais la question du choix et de l’inconfort dans lequel il peut nous mettre est cruciale pour garder son énergie et sa concentration. Moins de décisions inutiles, c’est ainsi plus de temps pour l’essentiel. L’anecdote célèbre de Barack Obama l’illustre à merveille : en choisissant de porter toujours le même modèle de costume, il économise son énergie mentale pour des décisions plus stratégiques.
Dans un monde qui ne cesse de s’accélérer, la reconquête du focus est bien plus qu’une simple compétence : c’est une démarche essentielle pour vivre et travailler de manière plus alignée et impactante.
Pour aller plus loin
- The Acceleration Trap de Heike Bruch et Jochen I. Menges (Harvard Business Review)
- La Civilisation du poisson rouge de Bruno Patino
- Focus de Daniel Goleman
- Wabi Sabi: L’art d’accepter l’imperfection de Thomas Navarro